
Le samedi 16 septembre 2023, le Mali le Burkina Faso et le Niger 3 pays de la CEDEAO signent la Charte du Liptako-Gourma et créent ainsi l’Alliance des États du Sahel (AES). Dans la dynamique de leur autonomisation, ces trois pays membres de la CEDEAO annoncent le 28 janvier 2024, leur retrait de la CEDEAO, une organisation jugée inféodée et instrumentalisée par la France, une organisation qui s’est largement écartée de la vision et de la mission des Pères fondateurs. Malgré les tentatives de médiation pour ramener les trois pays sahéliens au sein de l’organisation, ces derniers ont radicalisé leur position. Ils ne comptent plus battre en retraite et revenir dans la CEDEAO. Pour renforcer leur volonté de tourner définitivement le dos à cette communauté, les Chefs d’Etat de ces trois pays à savoir le Colonel Assimi Goïta du Mali, le Capitaine Ibrahim Traoré du Burkina Faso et le Général Abdourahamane Tiani du Niger, se retrouvent le 6 juillet 2024 à Niamey capitale du Niger. Bénéficiant d’un soutien populaire immense, ils officialisent leur départ de la CEDEAO en procédant à la création de la Confédération de l’Alliance des Etats du Sahel. Cette dernière initiative porte très sérieusement un coup de massue à la CEDEAO qui se retrouve aujourd’hui très affaiblie dans sa mission et ses objectifs.
Qu’est-ce qui va se passer maintenant ?
Comment doit et va réagir la CEDEAO face à cette volonté intraitable des pays de l’AES de quitter l’organisation ?
Trois grands scénarios se présentent dans ce bras de fer que nous allons analyser et décrypter.
Scénario numéro 1 : Une rupture brutale aux conséquences négatives dans la sous-région
Dans ce bras de fer qui oppose l’Alliance des Etats du Sahel et la CEDEAO, aucune des parties ne veut céder du terrain. Les Etats de l’AES se trouvent aujourd’hui en position de force. Ils bénéficient incontestablement d’un soutien inébranlable de leurs populations, mais également de plusieurs communautés sous régionales, continentales et même extérieures dans ce bras de fer. La diversification de leurs partenariats à l’international avec la Russie, la Chine, la Turquie est un atout majeur dans cette bataille géopolitique.
Ces trois pays de l’AES ont également retrouvé leur fierté nationaliste après avoir chassé les forces militaires françaises, européennes et onusiennes de leur territoire. Ils ont aussi renforcé leurs dispositifs militaires avec l’acquisition en toute autonomie d’impressionnants et performants matériels de guerre, ce qui n’était pas possible il y a quelques temps sous les régimes civils. Leurs coopérations militaires conjointes se sont intensifiées dans le cadre de la lutte contre les organisations terroristes dans le sahel, affaiblissant ainsi progressivement la capacité de nuisance de ces hordes terroristes ; ce que d’ailleurs, les nombreuses missions militaires ouest-africaines, françaises, européennes, onusiennes n’ont jamais réussi pendant plus d’une décennie de présence au Sahel.
Les états de l’AES se trouvent encore en position de force car les sanctions économiques et financières imposées par la CEDEAO, la France et l’UE n’ont pas réussi à les faire fléchir. Bien au contraire, ils ont profité de cette confrontation géopolitique pour redéfinir plusieurs accords commerciaux, miniers et pétroliers avec des grands groupes industriels et même des entités étatiques, ce qui leur permet aujourd’hui d’engranger recettes fiscales substantielles et d’autofinancer leurs politiques de développement endogènes.
Les pays de l’AES, au regard de tous ces facteurs que nous venons de voir, disposent aujourd’hui d’une légitimité populaire, débarrassés des engrenages politico-diplomatiques inopérantes souvent orchestrés et alimentés par des puissances extérieures. Ils disposent également de capacités militaires opérationnelles impressionnantes et de potentialités économiques et financières prometteuses. Par conséquent, ils ne sont plus prêts à se remettre sous une quelconque tutelle ou assistance extérieure.
Quant à la CEDEAO, elle n’entend pas faciliter le départ des trois pays frères. Dans ce premier scénario, elle mettra tout en œuvre pour les maintenir au sein de l’organisation commune, quitte à user de menaces de divers types. Si la date prévue pour la sortie est atteinte selon les textes de la CEDEAO, chaque partie mettra tout en œuvre pour démontrer que l’autre partie a eu tort. La CEDEAO mettra fin à plusieurs mécanismes de coopération avec les trois pays sahéliens et imposerait des restrictions dans la circulation des biens et des personnes et dans les flux financiers. Déjà le 7 juillet 2024, au dernier sommet de la CEDEAO, alors que la veille les trois dirigeants de l’AES confirmaient la sortie de la CEDEAO par la création de la Confédération de l’Alliances des Etats du Sahel, le Président de la Commission de la CEDEAO annonçait des conséquences et impacts négatifs de cette sortie sur les Etats de l’AES. Ce premier scénario ne sera profitable à aucune des parties puisque chaque groupe va camper sur sa position. La CEDEAO tentera de tout mettre en œuvre pour faire regretter les trois pays de l’AES d’être sortis de l’Organisation. Ces derniers useront de représailles aux impacts négatifs contre les douze autres pays dans divers domaines de coopération. Cette escalade va fortement perturber les politiques de développement endogènes de l’ensemble des Etats ouest-africains. Il ne faut pas oublier qu’il y a une très forte interdépendance entre les 15 États de l’Afrique de l’Ouest sur les questions sécuritaires, énergétiques, commerciales, alimentaires, infrastructurelles etc. La radicalisation des positions dans ce premier scénario ne sera profitable à aucun des deux blocs mais plutôt préjudiciable à l’ensemble de l’Afrique de l’Ouest et ses populations.
Scénario numéro 2 : Les trois pays de l’AES restent dans la CEDEAO
Dans ce deuxième scénario, les négociations et les politiques de médiation finissent par convaincre les trois pays de l’AES de rester dans la CEDEAO. Rappelons qu’à son dernier sommet tenu à Abuja au Nigeria le 7 juillet 2024, les Chefs d’Etats et de gouvernement de la CEDEAO ont désigné les présidents Bassirou Diomaye Faye du Sénégal et Faure Gnassingbé du Togo comme Facilitateurs de la CEDEAO dans les discussions de la Communauté avec l’AES. En l’état actuel des choses, il faut souligner que les menaces, sanctions et pressions ne pourront pas ramener les trois pays de l’AES dans la CEDEAO. Si ces derniers ont réussi à braver la France en boutant ses forces militaires hors de leur territoire, en mettant fin à des missions diplomatiques, s’ils ont réussi à chasser même des forces militaires onusiennes malgré les pressions diplomatiques à l’international, s’ils ont fait preuve de résilience et ont survécu face aux sanctions de divers ordres imposées par la France, l’Union européenne et la CEDEAO, s’ils ont réussi militairement à se réorganiser, à s’équiper et à combattre le cancer terroriste sur leurs territoires sans l’appui de la traditionnelle communauté internationale, alors il faut honnêtement reconnaître que ce ne seront pas les menaces d’interdiction de Visa (à titre d’exemple) brandies par la CEDEAO qui vont les contraindre à revenir à cette organisation. La seule option dont dispose la CEDEAO pour tenter de maintenir ces trois pays au sein de l’organisation est indiscutablement la voie du dialogue et de la négociation.
Si ce deuxième scénario est concluant, les trois pays de l’AES peuvent alors décider de rester au sein de la CEDEAO tout en gardant leur alliance. L’AES sera dans ce cas une organisation sous régionale de plus comme il en existe plusieurs à l’image de la CEN-SAD (Communauté des Etats Sahélo-Sahariens), de l’Union du Fleuve Mano, du Conseil de l’Entente etc. Les trois pays de l’AES poursuivront leur coopération à divers niveaux tout en restant membres de la CEDEAO, stabilisant ainsi la sous-région et préservant les politiques, outils et mécanismes d’intégration régionale. Dans ce deuxième scénario, personne ne perd et la sous-région est intégralement bénéficiaire.
Scénario numéro 3 : La rupture dans la coopération
Dans ce scénario, les trois pays de l’AES maintiennent leur volonté de quitter la CEDEAO. Les douze Etats membres de cette Organisation prennent acte de cette douloureuse décision. Plutôt que de s’engager dans une dynamique de force et de menaces pour contraindre les États de l’AES à revenir au sein de l’organisation, la CEDEAO analyse raisonnablement la situation et en tire les conséquences.
Quels ont été ses responsabilités dans cette situation qui a précipité la sortie des trois pays frères ?
Pourquoi avoir obstinément choisi de sanctionner de façon austère et radicale les pays qui ont subi des coups d’État ?
Pourquoi avoir menacé d’intervenir militairement au Niger sous prétexte de s’opposer à la prolifération des coups d’Etat dans la sous-région ?
Qu’a fait la CEDEAO quand ces trois pays étaient confrontés aux barbaries terroristes pendant plusieurs années ?
Autant de questions qui doivent amener la CEDEAO à faire son autocritique. Il faut juste avoir le courage de se regarder dans le miroir de la vérité et analyser la situation sans pression, ni passion, ni violence. Ainsi dans ce dernier scénario, la CEDEAO accepte humblement le principe du retrait des trois pays frères et envisage sereinement les perspectives d’une coopération avec ces derniers. On peut se séparer à l’amiable sans tension. Pour l’histoire, la Mauritanie en 2000 a décidé de quitter la CEDEAO pour se consacrer au développement de l’Union du Maghreb Arabe (UMA). Cela n’a pas empêché ce pays de conserver des relations fraternelles et fructueuses avec les États membres de la CEDEAO. Dans la mesure où le principe de quitter la CEDEAO est une option inscrite dans ses propres textes, alors il faut accepter aussi que celui qui veut en user peut en user.
Le 31 janvier 2020 le Royaume-Uni sort de l’Union européenne après 47 ans de vie commune avec les autres États européens. Plutôt que de bander les muscles et de chercher à contraindre par la force les Anglais à revenir au sein de l’Union européenne, les autres pays ont pris acte et entamer des négociations pour réviser les traités et accords de coopération avec le Royaume-Uni. Ils se sont séparés à l’amiable sans violence et sans pression. Aujourd’hui chaque groupe expérimente sa propre réalité et assume les conséquences de ses choix.
Ce dernier scénario est aussi possible dans notre espace. On peut être en désaccord sans toutefois se combattre. N’oublions pas que le continent africain en général et notre sous-région ouest-africaine en particulier, sont l’objet d’intenses convoitises de la part des grandes puissances extérieures. Ces dernières ne tarderont pas à opposer et à fragiliser tous les pays ouest africains pour mieux servir leurs propres intérêts. Il faut donc éviter l’extrémisme, la radicalisation violente. Analysons tous de façon intellectuelle et sereine, les options et les perspectives de sortie de crise pour une sous-région gagnante et prospère.
Et selon vous, lequel de ces trois scénarios vous semble le plus pertinent à l’avantage de la sous-région ? Existe-t-il de votre point de vue d’autres scénarios pour cette sortie de crise ? Vos commentaires nous intéressent.
Une réflexion au sujet de « AES vs CEDEAO : Les trois scénarios du bras de fer »
Quelle honte pour le CEDEAO. On voit qu’il y a la main du diable derrière. Un membre, deux ou trois veulent quitter l’organisation qu’ils ont librement adhéré. Et alors ? Non, l’Afrique doit se libérer. A bas ces vieux africains au solde du diable.