Aussitôt que nous sommes apparus
sur la grande place, les hommes sont accourus. Nous avancions en file indienne
entre deux haies d’hommes. Le père de Kouyaté, vénérable vieillard à barbe
blanche et à cheveux blancs, a fendu la haie et s’est placé à notre tête :
c’est à lui qu’il appartenait de nous montrer comment se danse le “coba”,
une danse réservée aux futurs circoncis, mais qui n’est dansée que la veille de
la circoncision. Le père de Kouyaté, parce qu’il est ancien et aussi renommé, avait
seul le droit d’entonner le chant qui accompagne le “coba”.
Je marchais derrière lui, et il m’a
dit de poser mes mains sur ses épaules ; après quoi, chacun de nous a
placé les mains sur les épaules de celui qui le précédait. Quand notre file
indienne s’est ainsi trouvée comme soudée, les tam-tams et les tambours se sont
brusquement tus, et tout le monde s’est tu, tout est devenu muet et immobile.
Le père de Kouyaté alors a redressé sa haute taille, il a jeté le regard autour
de lui et, comme un ordre, il a lancé très haut le chant du “coba” :
–
Coba ! Aye
coba, lama !
Aussitôt les tam-tams et les
tambours ont sonné avec force, et tous nous avons repris la phrase :
–
Coba ! Aye
coba, lama !
Nous marchions, comme le père de
Kouyaté, les jambes écartées, aussi écartées que le permettait notre boubou, et
à pas très lent naturellement. Et en prononçant la phrase, nous tournions,
comme l’avait fait le père de Kouyaté, la tête à gauche, puis à droite ;
et notre bonnet allongeait curieusement ce mouvement de la tête.
–
Coba ! Aye
coba, lama !
Camara Laye, L’enfant noir, Ed. Plon