L’accession de la Côte d’Ivoire à l’indépendance

INTRODUCTION

Comme la plupart des pays africains, la Côte d’Ivoire à la fin de la seconde guerre mondiale s’engage dans le processus de la décolonisation. Quelles sont les grandes étapes de cette lutte émancipatrice ? Qui sont les principaux artisans de ce processus d’indépendance ?

I- LA PÉRIODE D’ESPOIR (1944-1947)

1- La Conférence de Brazzaville

La Côte d’Ivoire, par décret du 10 mars 1893 devenait une colonie française et fut intégrée à l’ensemble AOF qui comprenait le Sénégal, la Côte d’Ivoire, la guinée, la haute Volta, le Dahomey, la Mauritanie, le Soudan français et le Niger. Alors que la France est occupée par l’Allemagne pendant la seconde guerre mondiale, une conférence organisée par le CFLN (Comité Français de Libération Nationale) du 30 janvier au 08 février 1944 va se tenir à Brazzaville pour statuer sur la politique française dans son empire colonial.
Les gouverneurs des colonies et les gouverneurs généraux de l’Afrique noire et de Madagascar vont tenir cette conférence sous la présidence du Général Charles de Gaulle mais aucun responsable africain n’y sera invité. 
Plusieurs recommandations seront arrêtées entre autres : l’accès des africains aux emplois de haut niveau, le droit syndical accordé aux africains, leur représentation aux assemblées métropolitaines et leur participation active à la gestion des affaires coloniales.

Conformément à ces résolutions, Félix Houphouët-Boigny, Georges Kassi, Gabriel Dadier et d’autres planteurs avec le soutien du gouverneur de la colonie ivoirienne André Latrille créent en août  1944, le Syndicat Agricole Africain (SAA). Regroupant les planteurs africains mécontents de leur sort, le SAA, anticolonialiste et antiraciste, revendique de meilleures conditions de travail, une hausse des salaires et l’abolition du travail forcé.

2- L’action des élus africains

Conformément aux promesses de la conférence de Brazzaville, les premiers élus africains dont Félix Houphouët-Boigny vont siéger à l’Assemblée Constituante française avec pour tâche la lutte politique pour la liberté des africains et des reformes dans le traitement des colonisés. Très rapidement, les élus africains avec le soutien des députés communistes à la première Assemblée Constituante vont réussir à faire voter des lois d’une portée historique pour les peuples colonisés :

—Le 20 février 1946, est votée la Loi abolissant le code de l’indigénat ;

—Le 11 avril 1946, est votée la loi Houphouët-Boigny qui supprime le travail forcé dans toutes les colonies françaises ;

—Le 7 mai 1946 la Loi Lamine Gueye qui proclame citoyens français tous les ressortissants des territoires d’Outre-mer est adoptée. Dans cette dynamique, on assiste à l’instauration du multipartisme en Côte d’Ivoire : 

•         Le Parti Démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) créé par Félix Houphouët-Boigny le 9 avril 1946 à Treichville ;

•         Le Parti Progressiste de Côte d’Ivoire (PPCI) de Kouamé Benzème le 29 mars 1946 ;

•         Le Rassemblement du Peuple Français (RPF) créé le 6 août 1947 ;

•         Le Bloc Démocratique Eburnéen (BDE) d’Etienne Djaument le 30 déc. 1948, transfuge du PDCI-RDA ;

•         l’Entente des Indépendants de Côte d’Ivoire (EDICI) créée en fin 1949 par des transfuges du PDCI-RDA ;

•         La Section Française de l’Internationale Ouvrière (SFIO), créée en 1937, va se reconstituer et s’africaniser à partir de 1946 avec Dignan Bailly.

On dénombrera en tout près de 40 partis politiques en Côte d’Ivoire jusqu’en 1956.

Le 13 octobre 1946, une nouvelle constitution française (la IVe République) est adoptée et institue l’Union française. L’expression « empire colonial » est supprimée et la Côte d’Ivoire devient ainsi en octobre 1946, un Territoire d’Outre-Mer (TOM).

Aussi, face à la montée des forces réactionnaires et pour mieux coordonner leurs actions politiques pour plus d’efficacité, les élus africains se retrouvent à Bamako au Mali et créent le Rassemblement Démocratique Africain (RDA) le 18 octobre 1946. Sous la conduite de Félix Houphouët-Boigny principal leader et responsable le RDA qui se définit comme une plate-forme anti-impérialiste luttant contre la colonisation tente de regrouper toutes les forces politiques des territoires français. Il va s’affilier au Parti Communiste Français (PCF) à l’Assemblée française.

II- LA PÉRIODE DE LUTTE (1948-1950)

1 – La répression du pouvoir colonial

A partir de 1947, le contexte international de la guerre froide va fortement influencer la politique française. Les communistes sont chassés du gouvernement français et les députés africains du RDA se retrouvent isolés au Parlement français avec l’affaiblissement politique du PCF. Aussi la suppression du travail forcé et l’abrogation du code de l’indigénat vont précipiter la ruine économique des colons. Le gouvernement français, sous la pression des milieux financiers coloniaux nomme un nouveau gouverneur en Côte d’Ivoire le 10 Nov. 1948 : Laurent Péchoux. Sa politique consistera à briser le PDCI-RDA qui prend de l’ampleur dans la colonie.

La résistance du PDCI sous le leadership de Félix Houphouët-Boigny s’organise sous plusieurs formes :

– la création de journaux ;

– les tenues de meetings ;

– les marches de protestation ;

– le boycott du travail chez les colons blancs ;

– le boycott de l’achat des produits dans les magasins appartenant aux occupants coloniaux ;

– le boycott des réunions politiques avec les colons …

La répression des militants du PDCI-RDA par le pouvoir colonial va s’intensifier particulièrement en 1949 et 1950 et se traduira par des révocations ou mutations de fonctionnaires, des emprisonnements massifs de populations, des expulsions et même des assassinats. On citera en exemple l’émeute du 6 février 1949 à Treichville qui aboutit à l’arrestation de huit membres du comité directeur de PDCI-RDA. Le 24 décembre 1949, des femmes marcheront sur Grand-Bassam pour exiger la libération de leurs époux et responsables politiques arrêtés. Le 21 janvier 1950, des incidents éclatent à Bouaflé, faisant trois morts et plusieurs blessés. Le 28 janvier 1950, le sénateur Biaka Boda est assassiné et le 30 janvier, une fusillade à Dimbokro fait 13 morts et de nombreux blessés.

2 – Conséquences des répressions

La politique de répression anti-RDA va s’avérer un échec cuisant car les leaders du RDA vont exhorter les militants à ne pas céder à la provocation. Ainsi, malgré les fusillades, les arrestations massives et toutes sortes de brutalités subies par les militants et masses du PDCI-RDA, aucun européen ne sera en retour brutalisé par les ivoiriens. Cette attitude stoïque des leaders et militants entraîna systématiquement l’échec de la réaction coloniale.

En tout, la vague de répression du pouvoir colonial a fait de 1949 à 1950 une cinquante de morts et environ 5000 arrestations. Toutefois, ces répressions vont renforcer la fibre nationaliste des populations et consolider leur adhésion au PDCI-RDA qui s’implante et s’enracine davantage dans la conscience populaire comme le seul parti capable de fédérer toutes les énergies émancipatrices et de conduire le processus de décolonisation. Le pouvoir colonial qui n’arrive pas à briser ce parti, encourage la création de nouveaux partis politiques en suscitant la défection des militants du PDCI. Ainsi naîtront le Bloc Démocratique Eburnéen (BDE) et l’Entente des Indépendants de Côte d’Ivoire (EDICI).

III- DE L’AUTONOMIE A L’INDÉPENDANCE (1951-1960)

1 – Les périodes de collaborations  politiques

Tirant les conclusions du contexte politique international, Félix Houphouët-Boigny décide en octobre 1950 le désapparentement du PDCI-RDA avec le PCF. Il va chercher d’autres alliés susceptibles de l’aider à poursuivre la lutte pour l’émancipation des africains. C’est ainsi qu’en janvier 1952, le PDCI-RDA d’H. Boigny s’allie à un petit parti politique : l’Union Démocratique et Socialiste de la Résistance UDSR). Houphouët est accusé de traîtrise politique au grand désarroi du PCF et de certains élus du RDA comme Ruben Um Nyobé du Cameroun, Djibo Bakary du Niger et de nombreux militants en Côte d’Ivoire. Toutefois, cette nouvelle orientation politique de Félix Houphouët-Boigny va permettre la décrispation des rapports entre le PDCI-RDA et le pouvoir colonial. Les répressions prennent fin et la configuration politique de la Côte d’Ivoire va aussi changer.

Le désapparentement du PDCI-RDA avec le PCF et sa collaboration avec le pouvoir colonial vont faciliter le rapprochement entre les différents partis politiques ivoiriens.

En effet, le 6 mars 1951, Félix Houphouët-Boigny dans une déclaration solennelle au stade Géo André, lance un appel à l’union des forces politiques pour bâtir ensemble la Côte d’Ivoire. Cet appel trouvera un écho favorable en 1956. Le 21 mai 1956, toujours au stade Géo André, la quasi-totalité des partis politiques et associations politico-culturelles annoncent officiellement leur ralliement au PDCI-RDA. Ainsi, le Parti Progressiste de Côte d’Ivoire (PPCI), le Bloc Démocratique Eburnéen (BDE), l’Entente des Indépendants de CI (EDICI), le Rassemblement du Peuple français (RPF) etc. se sabordent et disparaissent de la vie politique ivoirienne. Le PDCI-RDA devient le véritable parti unique de la Côte d’Ivoire et cela se traduira par ses victoires éclatantes aux différentes élections législatives et communales de 1956 à 1959.

2- La Loi-cadre

En 1956, Félix Houphouët-Boigny entre au gouvernement français de Guy Mollet au poste de ministre délégué à la présidence du conseil. Il participe à l’élaboration de la Loi-cadre avec Gaston Defferre. Cette loi, votée le 23 juin 1956 crée dans chaque territoire colonial un conseil de gouvernement élu par l’assemblée territoriale. Elle autorise la généralisation du suffrage électoral et accorde une autonomie financière aux colonies. Le pouvoir exécutif est dirigé par le gouverneur de la colonie qui a rang de président du territoire.

Si la Loi-cadre est adoptée par la Côte d’Ivoire et le Gabon, elle sera rejetée par les indépendants d’outre-mer conduits par Léopold Sédar Senghor du Sénégal. Ce dernier réclame plutôt la création d’un exécutif fédéral dans chaque groupe de territoire (AOF et AEF). Félix Houphouët-Boigny condamne cette option politique et préconise la création d’une fédération franco-africaine où chaque territoire serait directement associé à la France sans le canal d’exécutifs fédéraux. Cette incompréhension politique sera résolue avec le retour de Charles de Gaulle au pouvoir à la faveur des événements d’Algérie.

3- La Communauté Franco-Africaine

Arrivé au pouvoir le 1er juin 1958, Charles de Gaulle soutient la position de Félix Houphouët-Boigny et propose la Communauté Franco-Africaine à la place de l’Union Française. Elle institue un Conseil exécutif composé d’un président, des chefs de gouvernement des territoires membres et des ministres chargés des affaires communes (politique étrangère, défense, monnaie, justice, enseignement supérieur, transport extérieur et télécommunications). Les autres compétences ministérielles sont réservées aux États membres.

Le referendum prévu pour cette constitution a lieu le 28 septembre 1958. Seule la Guinée de Sékou Touré vote non et accède immédiatement à l’indépendance. Le 4 décembre 1958, l’assemblée territoriale ivoirienne proclame la République de Côte d’Ivoire avec le statut d’État membre de la Communauté franco-africaine.

4- L’indépendance de la Côte d’Ivoire

Le 26 mars 1959, la constitution ivoirienne est adoptée. A la suite des élections du 12 avril 1959 très largement remportées par la PDCI-RDA, le premier gouvernement de la république est formé avec Félix Houphouët-Boigny comme 1er ministre. Le 13 décembre 1959, la fédération du Mali composé du Sénégal, du Mali (et auparavant de la Haute Volta) exige son indépendance conformément aux dispositions prévues par la Communauté Franco-Africaine. La Côte d’Ivoire va aussi demander l’application de l’article 86 de la constitution de la Communauté qui prévoit l’accession à l’indépendance des États membres par un simple vote de leur assemblée législative. C’est ainsi que le 7 août 1960, la Côte d’Ivoire proclame son indépendance.

CONCLUSION

Devenue colonie française en 1893, la Côte d’Ivoire accède à la souveraineté nationale après 67 ans de colonisation. Ce processus de décolonisation a été fortement caractérisé par des reformes politiques sous la houlette de l’historique Félix Houphouët-Boigny et de son parti le PDCI-RDA. Malgré les violences et répressions enregistrées tout au long de cette lutte émancipatrice, on parlera d’une indépendance négociée contrairement à celle d’un pays comme l’Algérie qui s’obtiendra dans la guerre.

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