l’intégration africaine selon Dr Cheikh Tidiane Gadio

Le Club CEDEAO transcrit l’édifiante Intervention du Docteur CHEIKH TIDIANE GADIO au FORUM de l’INTEGRATION AFRICAINE le 27 novembre 2021 au King Fahd Palace à Dakar. Ce Forum a été organisé par le FOGECA (Forum des Opérateurs pour la Garantie de l’Emergence Economique en Afrique)

Intervention du Dr CHEIKH TIDIANE GADIO :

«Ce qui est dit, ce qui n’est dit est dit. Donc, nous avons déjà entendu l’essentiel ; mais comme vous me connaissez, quand on parle de l’intégration africaine, j’ai toujours envie de dire quelque chose. Et je vais aller très vite.

Le grand philosophe Albert Camus disait que « Mal nommer les choses, c’est augmenter les malheurs du monde ». Ça veut dire quoi ? Ça veut dire que nous devons prendre notre courage à deux mains et nous poser la question de l’intégration africaine. Est-elle menée de façon correcte, de façon sincère ? Est-ce que tous nos États jouent le jeu ? Est-ce que tous nos mécanismes opèrent comme on l’a souhaité ? Pourquoi, après… en 2023, on aura fait 60 ans d’intégration africaine ; le résultat, c’est 14, 16%, 20% d’échanges commerciaux entre les africains. C’est inacceptable ! Il y a quelque chose qui ne marche pas dans la mécanique, dans la machine ; il y a quelque chose qui ne fonctionne pas !

Un grand africain qui voulait l’unité de l’Afrique et l’intégration de nos pays, le Professeur Cheikh Anta Diop, en 1975, disait que nos leaders, nos dirigeants étaient encore une fois en train de s’engager dans la mauvaise voie, en ne comprenant pas que des États qui prétendent être indépendants et souverains, si ces États décident de travailler à l’intégration, leur premier défi c’est de régler la question de l’union politique. Si nous étions politiquement unis au sein de la CEDEAO, l’intégration de la CEDEAO serait réglée depuis très, très longtemps, depuis des décennies. Mais nous mettons en place des mécanismes à n’en plus finir ; des machines d’une lourdeur extraordinaire, juste pour éviter la question de l’union politique. Et ce débat nous rattrape. On a tout essayé : le plan de Lagos – le Traité d’Abuja – la vision et la mission de l’Union Africaine ; après on est parti sur le NEPAD ; ensuite on est parti sur les Plans Émergents : Sénégal 2035 – Côte d’Ivoire 2020 – Gabon 2025 – Guinée 2030 etc. ; et le grand chapeau maintenant, c’est quand l’Union Africaine nous propose, l’agenda 2063. Est-ce que franchement, vous pensez que les africains peuvent attendre 2063 pour voir la résolution des problèmes du continent ? Est-ce que la jeunesse africaine dont nous parlons ici peut attendre 2063 pour voir en réalité un paradis qu’on nous promet en 2063 ; parce qu’en 2063, il n’y aura plus aucun africain malheureux ? Tous les africains ont une voiture, ils ont de l’électricité, ils ont de l’eau, tous les problèmes du monde sont réglés ! Comme disait un ami économiste : « au lieu d’attendre mourir pour aller au paradis, il faut juste venir en Afrique et être au paradis, parce qu’il y aura tout.» Ce n’est pas bien !

La vérité c’est qu’il faut que nos dirigeants soient en phase avec les aspirations de nos populations. Nos populations sont prêtes, non seulement pour l’intégration ; elles n’ont jamais accepté la désintégration de l’Afrique, la fracturation de l’Afrique en de petits États ; et petits États ce n’est pas petits territoires. C’est juste comme disait Cheikh Anta Diop, des États nains et des États non viables. Des États qui ne sont pas capables de garantir leur souveraineté alimentaire, leur souveraineté militaire, leur souveraineté économique, leur souveraineté en matière d’éducation, en matière de santé ; et la preuve a été donnée quand la pandémie est tombée sur l’Afrique, beaucoup se sont inquiétés. On a découvert des pays qui ont des millions d’habitants et qui avaient quinze lits de réanimation ou vingt lits de réanimation. Ce qui prouve qu’en plus de 50, 60 ans d’indépendance, on n’a pas pu bâtir des systèmes de santé fiables dans chaque pays d’Afrique. Et ce n’est pas possible !

Ce n’est pas possible qu’on le fasse dans chaque pays d’Afrique ; qu’on bâtisse une armée souveraine, capable de nous défendre contre le terrorisme, les attaques contre l’Afrique, que chaque pays aille par lui-même, ce que nous appelons, nous, une chevauchée solitaire et puisse régler ses problèmes. Il nous faut mutualiser, il nous faut aller ensemble. Il nous faut comprendre qu’il faut bâtir de grands blocs, de grands ensembles ; et nous perdons du temps à vouloir, coûte que coûte, chacun dans son coin, bâtir un État fort. Ce n’est pas très crédible et l’histoire a montré que ça ne marche pas ; comme disait  l’autre : ça ne marche pas, ça n’a pas marché et ça ne marchera jamais ! Donc le verdict de l’histoire est clair.

Nous ne pouvons pas avoir un tiers des ressources naturelles du monde, être potentiellement le continent le plus riche du monde, avoir la ressource la plus essentielle dans la construction des pays, la ressource « Jeunesse » et continuer de marcher sur de l’or, du diamant, du pétrole, du gaz, du cobalt, du coltan et dire au reste du monde : « nous les pays pauvres ». « Nous les pays pauvres » est un langage de défaite pour les africains, que nous devons récuser. Nous devons reconnaître que nous sommes les riches les plus pauvres du monde, les pauvres les plus riches du monde. Et cela pose la question du leadership de moi, de tous mes collègues, de nos leaders. Comment faire pour les convaincre que Dieu a fait du parti pris pour l’Afrique. Il aime tellement ce continent qu’il nous a tout donné. Moi, parfois, je me demande si chaque jour, Dieu n’envoie pas des anges pour dire : « écoute, on leur a encore pris beaucoup de choses, allez remettre encore ! » Si chaque nuit, il ne vient pas remplir les puits, les mines etc. ; tellement il aime ce continent.

Donc notre débat, c’est quoi ? Intégration africaine, oui, mais si on le fait depuis 60 ans et le résultat n’est pas bon, c’est qu’il y a quelque chose qui ne marche pas. Quand est-ce qu’on va se réveiller ? Et il faut éviter le réveil brutal. C’est quand les jeunesses africaines, qui vont mourir dans la mer, qui vont mourir dans le Sahara, décident dans leurs propres pays maintenant de déferler dans leurs pays et de trouver une solution. Le temps de la rupture a sonné. L’Afrique souffre, l’Afrique souffre. L’Afrique souffre et il me fait mal, moi, d’entendre à 6h du matin sur les radios internationales qu’on a massacré 53 gendarmes au Burkina Faso. On tue 2 militaires en France ou en Amérique, c’est le Président de la République qui va à l’aéroport pour accueillir les corps. Ils valorisent leurs forces de défense et de sécurité. Pourquoi nous africains, quel que soit votre pays, Somalie, Éthiopie, Sénégal, Gambie, Guinée, si vous entendez que 53 gendarmes burkinabè ont été massacrés ; vous savez comment ils les tuent, ils les égorgent, ils les massacrent, ils les brûlent. Vous l’apprenez, vous prenez votre petit déjeuner et vous allez au travail, tranquillement, comme il ne s’est rien passé. Pourquoi on n’a pas marché dans nos capitales pour soutenir le Burkina Faso ? Voyez la situation du Burkina aujourd’hui ! Pourquoi on ne lève pas une armée sous régionale, ouest-africaine, aller au Burkina dire aux soldats burkinabè, et peuple burkinabè : « vous êtes nous, nous sommes vous, nous sommes là avec vous ! » pourquoi on ne le fait pas ? Chacun attend qu’on vienne l’attaquer dans son pays, qu’on tue au Niger, qu’on tue au Tchad, qu’on tue au Mali ; Quand est-ce que les africains vont se réveiller ?

Ce que nous faisons ici, c’est excellent. Parlons de nos problèmes immédiats, trouvons des solutions, mais tant que nous n’avons pas une vision stratégique de comment développer ce continent, tant qu’on continue d’aller en rangs dispersés, tant qu’on continue ce que le Président Abdoulaye Wade appelait « la compétition ruineuse entre nous », on n’ira pas très loin !

Pendant ce temps, la Chine, l’Inde, qui étaient aussi pauvres que nous, sont aujourd’hui candidats à la puissance mondiale. Pourquoi nous, Afrique, comme le disait Béchir Ben Yahmed « le jour où l’on proclame les États-Unis d’Afrique, si c’est un lundi, le mardi, nous sommes le 4ème pays du monde. » pourquoi nous ne voulons pas être le 4ème pays du monde ? Pourquoi nous attendons des classements : 173ème, 156ème … et c’est comme si nous sommes heureux dans le malheur. Il est temps de rompre avec ça. Ce n’est pas un débat entre afro pessimistes et afro optimistes. C’est un débat entre des inconditionnels de l’Afrique qui sont prêts à faire de ce continent, ce qu’il mérite d’être, une Puissance mondiale.

Merci beaucoup.»

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